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Synapses évangéliques - La très Bonne Nouvelle selon Stéfanos
1 avril 2013

Intermède poétique: poèmes évangéliques (six poètes français du XIXème siècle)

 

INTERMÈDE POÉTIQUE

 



 

POEMES EVANGELIQUES

 



 

Quelle surprise ! Les poètes invités, mis à l'honneur dans mon livre ! Un livre qui se veut résoudre des problèmes exégétiques !

 

Dame ! Why not ?

 

Il me faut représenter ma discipline : l'exégèse poétique. Et je ne peut mieux le faire qu'en les invitant à ma table.

 

Je me limiterai à certains auteurs, tous français, hélas ! Et des romantiques... Enfin ! Un « symboliste » aussi .

 

Tous me sont familiers, certains plus que d'autres.

 

Ce que je veux mettre en avant par là, c'est le Verbe divin qui s'exprime à travers les poètes et spécialement comment leur sensibilité s'est manifestée chez ceux que je présente, – leur coeur en contact avec les Évangiles – et que ce soit en vers (le plus souvent) ou en prose.

 

Je présenterai ainsi dans l'ordre, parfois par couples : Vigny, Nerval, Baudelaire, Rimbaud et Hugo. Cinq poètes, comme les cinq doigts de la main, qui dans le divin expriment l'humain.

 



 

Vigny, Nerval et le Mont des Oliviers:

 



 

Chez Vigny comme Nerval qui s'en inspirera, le Mont des Oliviers devient des épisodes bibliques le lieu romantique par excellence; lieu tragique, lieu du drame de l'âme humaine que transfigure la beauté du verbe poétique. Le Christ devient un frère du poète dans ses doutes, ses angoisses, ses souffrances.

 

Lisons ce deux poèmes conjoints :

 



 



 

Le Mont des Oliviers

 


                               I

 

Alors il était nuit et Jésus marchait seul,
Vêtu de blanc ainsi qu'un mort de son linceul ;
Les disciples dormaient au pied de la colline.
Parmi les oliviers qu'un vent sinistre incline
Jésus marche à grands pas en frissonnant comme eux ;
Triste jusqu'à la mort ; l'oeil sombre et ténébreux,
Le front baissé, croisant les deux bras sur sa robe
Comme un voleur de nuit cachant ce qu'il dérobe ;
Connaissant les rochers mieux qu'un sentier uni,
Il s'arrête en un lieu nommé Gethsémani :
Il se courbe, à genoux, le front contre la terre,
Puis regarde le ciel en appelant : Mon Père !
- Mais le ciel reste noir, et Dieu ne répond pas.
Il se lève étonné, marche encore à grands pas,
Froissant les oliviers qui tremblent. Froide et lente
Découle de sa tête une sueur sanglante.
Il recule, il descend, il crie avec effroi :
Ne pouviez-vous prier et veiller avec moi !
Mais un sommeil de mort accable les apôtres,
Pierre à la voix du maître est sourd comme les autres.
Le fils de l'homme alors remonte lentement.
Comme un pasteur d'Egypte il cherche au firmament
Si l'Ange ne luit pas au fond de quelque étoile.
Mais un nuage en deuil s'étend comme le voile
D'une veuve et ses plis entourent le désert.
Jésus, se rappelant ce qu'il avait souffert
Depuis trente-trois ans, devint homme, et la crainte
Serra son coeur mortel d'une invincible étreinte.
Il eut froid. Vainement il appela trois fois :
MON PÈRE ! - Le vent seul répondit à sa voix..
Il tomba sur le sable assis et, dans sa peine,
Eut sur le monde et l'homme une pensée humaine.
- Et la Terre trembla, sentant la pesanteur
Du Sauveur qui tombait aux pieds du créateur.

 

                        II

 

Jésus disait : " 0 Père, encor laisse-moi vivre !
Avant le dernier mot ne ferme pas mon livre !
Ne sens-tu pas le monde et tout le genre humain
Qui souffre avec ma chair et frémit dans ta main ?
C'est que la Terre a peur de rester seule et veuve,
Quand meurt celui qui dit une parole neuve ;
Et que tu n'as laissé dans son sein desséché
Tomber qu'un mot du ciel par ma bouche épanché.
Mais ce mot est si pur, et sa douceur est telle,
Qu'il a comme enivré la famille mortelle
D'une goutte de vie et de Divinité,
Lorsqu'en ouvrant les bras j'ai dit : FRATERNITE !

 

- Père, oh ! si j'ai rempli mon douloureux message,
Si j'ai caché le Dieu sous la face du Sage,
Du Sacrifice humain si j'ai changé le prix,
Pour l'offrande des corps recevant les esprits,
Substituant partout aux choses le Symbole,
La parole au combat, comme au trésor l'obole,
Aux flots rouges du Sang les flots vermeils du vin,
Aux membres de la chair le pain blanc sans levain ;
Si j'ai coupé les temps en deux parts, l'une esclave
Et l'autre libre ; - au nom du Passé que je lave
Par le sang de mon corps qui souffre et va finir :
Versons-en la moitié pour laver l'avenir !

 


Père Libérateur ! jette aujourd'hui, d'avance,
La moitié de ce Sang d'amour et d'innocence
Sur la tête de ceux qui viendront en disant :
"Il est permis pour tous de tuer l'innocent."
Nous savons qu'il naîtra, dans le lointain des âges,
Des dominateurs durs escortés de faux Sages
Qui troubleront l'esprit de chaque nation
En donnant un faux sens à ma rédemption.
Hélas ! je parle encor que déjà ma parole
Est tournée en poison dans chaque parabole ;
Eloigne ce calice impur et plus amer
Que le fiel, ou l'absinthe, ou les eaux de la mer.
Les verges qui viendront, la couronne d'épine,
Les clous des mains, la lance au fond de ma poitrine,
Enfin toute la croix qui se dresse et m'attend,
N'ont rien, mon Père, oh ! rien qui m'épouvante autant !
- Quand les Dieux veulent bien s'abattre sur les mondes,

Et n'y doivent laisser que des traces profondes,
Et si j'ai mis le pied sur ce globe incomplet
Dont le gémissement sans repos m'appelait,
C'était pour y laisser deux anges à ma place
De qui la race humaine aurait baisé la trace,
La Certitude heureuse et l'Espoir confiant
Qui dans le Paradis marchent en souriant.
Mais je vais la quitter, cette indigente terre,
N'ayant que soulevé ce manteau de misère
Qui l'entoure à grands plis, drap lugubre et fatal,
Que d'un bout tient le Doute et de l'autre le Mal.
Mal et Doute ! En un mot je puis les mettre en poudre ;
Vous les aviez prévus, laissez-moi vous absoudre
De les avoir permis. - C'est l'accusation
Qui pèse de partout sur la Création !
- Sur son tombeau désert faisons monter Lazare.
Du grand secret des morts qu'il ne soit plus avare
Et de ce qu'il a vu donnons-lui souvenir,
Qu'il parle. - Ce qui dure et ce qui doit finir ;
Ce qu'a mis le Seigneur au coeur de la Nature,
Ce qu'elle prend et donne à toute créature ;
Quels sont, avec le Ciel, ses muets entretiens,
Son amour ineffable et ses chastes liens ;
Comment tout s'y détruit et tout s'y renouvelle
Pourquoi ce qui s'y cache et ce qui s'y révèle ;
Si les astres des cieux tour à tour éprouvés
Sont comme celui-ci coupables et sauvés ;
Si la Terre est pour eux ou s'ils sont pour la Terre ;
Ce qu'a de vrai la fable et de clair le mystère,
D'ignorant le savoir et de faux la raison ;
Pourquoi l'âme est liée en sa faible prison ;
Et pourquoi nul sentier entre deux larges voies,
Entre l'ennui du calme et des paisibles joies
Et la rage sans fin des vagues passions,
Entre la Léthargie et les Convulsions ;
Et pourquoi pend la Mort comme une sombre épée
Attristant la Nature à tout moment frappée ;
- Si le Juste et le Bien, si l'Injuste et le Mal
Sont de vils accidents en un cercle fatal
Ou si de l'univers ils sont les deux grands pôles,
Soutenant Terre et Cieux sur leurs vastes épaules ;
Et pourquoi les Esprits du Mal sont triomphants
Des maux immérités, de la mort des enfants ;
- Et si les Nations sont des femmes guidées
Par les étoiles d'or des divines idées
Ou de folles enfants sans lampes dans la nuit,
Se heurtant et pleurant et que rien ne conduit ;
- Et si, lorsque des temps l'horloge périssable
Aura jusqu'au dernier versé ses grains de sable,
Un regard de vos yeux, un cri de votre voix,
Un soupir de mon coeur, un signe de ma croix,
Pourra faire ouvrir l'ongle aux Peines Eternelles,
Lâcher leur proie humaine et reployer leurs ailes ;
- Tout sera révélé dés que l'homme saura
De quels lieux il arrive et dans quels il ira. "

 

III

 

Ainsi le divin fils parlait au divin Père.
Il se prosterne encore, il attend, il espère,
Mais il renonce et dit : Que votre Volonté
Soit faite et non la mienne et pour l'Eternité.
Une terreur profonde, une angoisse infinie
Redoublent sa torture et sa lente agonie.
Il regarde longtemps, longtemps cherche sans voir.
Comme un marbre de deuil tout le ciel était noir.
La Terre sans clartés, sans astre et sans aurore,
Et sans clartés de l'âme ainsi qu'elle est encore,
Frémissait. - Dans le bois il entendit des pas,
Et puis il vit rôder la torche de Judas.

 



 

Le silence

 

S'il est vrai qu'au Jardin sacré des Ecritures,
Le Fils de l'Homme ait dit ce qu'on voit rapporté ;
Muet, aveugle et sourd au cri des créatures,
Si le Ciel nous laissa comme un monde avorté,
Le juste opposera le dédain à l'absence
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.

 



 

(1843-1844, repris dans Les Destinées, 1864)

 



 

                                  Le Christ aux Oliviers

 

                                                     I

Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras
Sous les arbres sacrés, comme font les poètes,
Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes,
Et se jugea trahi par des amis ingrats ;

Il se tourna vers ceux qui l'attendaient en bas
Rêvant d'être des rois, des sages, des prophètes...
Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes,
Et se prit à crier : "Non, Dieu n'existe pas !"

Ils dormaient. "Mes amis, savez-vous la nouvelle ?
J'ai touché de mon front à la voûte éternelle ;
Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours !

"Frères, je vous trompais. Abîme ! abîme ! abîme !
Le dieu manque à l'autel où je suis la victime...
Dieu n'est pas ! Dieu n'est plus !" Mais ils dormaient toujours !...


                                                        II

 

 

Il reprit : "Tout est mort ! J'ai parcouru les mondes ;
Et j'ai perdu mon vol dans leurs chemins lactés,
Aussi loin que la vie, en ses veines fécondes,
Répand des sables d'or et des flots argentés :

"Partout le sol désert côtoyé par des ondes,
Des tourbillons confus d'océans agités...
Un souffle vague émeut les sphères vagabondes,
Mais nul esprit n'existe en ces immensités.

"En cherchant l'oeil de Dieu, je n'ai vu qu'une orbite
Vaste, noire et sans fond, d'où la nuit qui l'habite
Rayonne sur le monde et s'épaissit toujours ;

"Un arc-en-ciel étrange entoure ce puits sombre,
Seuil de l'ancien chaos dont le néant est l'ombre,
Spirale engloutissant les Mondes et les jours !

 

                                                  III

"Immobile Destin, muette sentinelle,
Froide Nécessité !... Hasard qui, t'avançant
Parmi les mondes morts sous la neige éternelle,
Refroidis, par degrés, l'univers pâlissant,

"Sais-tu ce que tu fais, puissance originelle,
De tes soleils éteints, l'un l'autre se froissant...
Es-tu sûr de transmettre une haleine immortelle,
Entre un monde qui meurt et l'autre renaissant ?...

"O mon père ! est-ce toi que je sens en moi-même ?
As-tu pouvoir de vivre et de vaincre la mort ?
Aurais-tu succombé sous un dernier effort

"De cet ange des nuits que frappa l'anathème ?...
Car je me sens tout seul à pleurer et souffrir,
Hélas ! et, si je meurs, c'est que tout va mourir !"

 



 

                                   IV

Nul n'entendait gémir l'éternelle victime,
Livrant au monde en vain tout son coeur épanché ;
Mais prêt à défaillir et sans force penché,
Il appela le seul - éveillé dans Solyme :

"Judas ! lui cria-t-il, tu sais ce qu'on m'estime,
Hâte-toi de me vendre, et finis ce marché :
Je suis souffrant, ami ! sur la terre couché...
Viens ! ô toi qui, du moins, as la force du crime!"

Mais Judas s'en allait, mécontent et pensif,
Se trouvant mal payé, plein d'un remords si vif
Qu'il lisait ses noirceurs sur tous les murs écrites...

Enfin Pilate seul, qui veillait pour César,
Sentant quelque pitié, se tourna par hasard :
"Allez chercher ce fou !" dit-il aux satellites.

 


                                  V

C'était bien lui, ce fou, cet insensé sublime...
Cet Icare oublié qui remontait les cieux,
Ce Phaéton perdu sous la foudre des dieux,
Ce bel Atys meurtri que Cybèle ranime !

L'augure interrogeait le flanc de la victime,
La terre s'enivrait de ce sang précieux...
L'univers étourdi penchait sur ses essieux,
Et l'Olympe un instant chancela vers l'abîme.

"Réponds ! criait César à Jupiter Ammon,
Quel est ce nouveau dieu qu'on impose à la terre ?
Et si ce n'est un dieu, c'est au moins un démon..."

Mais l'oracle invoqué pour jamais dut se taire ;
Un seul pouvait au monde expliquer ce mystère :
- Celui qui donna l'âme aux enfants du limon.

(Recueil : 31 mars 1844, Poésies; Les Chimères,1854)

 



 



 

Baudelaire et le reniement:

 



 

Le ton se durcit, ici ce n'est plus le doute et l'angoisse métaphysique qui se donne libre cours, mais l'ironie et la révolte:

 



 

Le Reniement de Saint-Pierre

 

 

 

   Qu'est-ce que Dieu fait donc de ce flot d'anathèmes
    Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ?
    Comme un tyran gorgé de viande et de vins,
    Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.
   
    Les sanglots des martyrs et des suppliciés
    Sont une symphonie enivrante sans doute,
    Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,
    Les cieux ne s'en sont point encore rassasiés !
   
    - Ah ! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives !
    Dans ta simplicité tu priais à genoux
    Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous
    Que d'ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,
   
    Lorsque tu vis cracher sur ta divinité
    La crapule du corps de garde et des cuisines,
    Et lorsque tu sentis s'enfoncer les épines
    Dans ton crâne où vivait l'immense Humanité ;
   
    Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible
    Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang
    Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant,
    Quand tu fus devant tous posé comme une cible,
   
    Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux
    Où tu vins pour remplir l'éternelle promesse,
    Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,
    Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,
   
    Où, le cœur tout gonflé d'espoir et de vaillance,
    Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,
    Où tu fus maître enfin ? Le remords n'a-t-il pas
    Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ?
   
    - Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait
    D'un monde où l'action n'est pas la sœur du rêve ;
    Puissé-je user du glaive et périr par le glaive !
    Saint Pierre a renié Jésus... Il a bien fait !

 


(septembre 1851-janvier 1852; Les Fleurs du mal, section "Révolte", 1857, 1861, 1868)

 



 

Rimbaud, l'hanté:

 


Marqué par un âpre catholicisme, le poète pourtant rempli de foi enfant et visible encore dans son poème d'Age d'or païen "Soleil et Chair": - C'est la Rédemption, c'est l'amour, c'est l'amour! , va se révolter contre la religion ; mais la Bible, "le livre du devoir" le poursuivra, et surtout le hanteront la figure du Christ et l'Évangile: "pleureur des oliviers", "Christ! ô Christ, éternel voleur des énergies", "Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ; ni dans les conseils des Seigneurs, représentants du Christ"; "Le sang païen revient! L'Esprit est proche, pourquoi Christ ne m'aide t-il pas, en donnant à mon âme noblesse et liberté. Hélas! l'Évangile a passé. l'Évangile! L'Évangile!"; "Je ne suis pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour Beau-Père". Nul autre n'illustre plus que lui le combat de Jacob avec l'ange.

 

Voici le plus grand témoignage qu'il a laissé de cette empreinte sur son esprit: il s'agit d'une parodie en mode mineur de l'Évangile de Jean et restée peut-être inachevée, passant à l'écriture d'un chef-d'oeuvre (Une Saison en enfer) où le sang et le pus coulent de multiples plaies. Le contraste de ces textes impersonnels, assez hermétiques, comparativement froids comme un marbre à peine réchauffé par le soleil, est saisissant. On est plus proche de certaines de ses Illuminations.

 

 

 



 


Proses évangéliques

 



 

À Samarie...

 

     À Samarie, plusieurs ont manifesté leur foi en lui. Il ne les a pas vus. Samarie la parvenue, l'égoïste, plus rigide observatrice de sa loi protestante que Juda des tables antiques. Là la richesse universelle permettait bien peu de discussion éclairée. Le sophisme, esclave et soldat de la routine, y avait déjà après les avoir flattés, égorgé plusieurs prophètes.
     C'était un mot sinistre, celui de la femme à la fontaine : "Vous êtes prophète, vous savez ce que j'ai fait."
     Les femmes et les hommes croyaient aux prophètes. Maintenant on croit à l'homme d'État.
     À deux pas de la ville étrangère, incapable de la menacer matériellement, s'il était pris comme prophète, puisqu'il s'était montré là si bizarre, qu'aurait-il fait ?
     Jésus n'a rien pu dire à Samarie.

 



 

L'air léger et charmant de la Galilée...

 

     L'air léger et charmant de la Galilée : les habitants le reçurent avec une joie curieuse : ils l'avaient vu, secoué par la sainte colère, fouetter les changeurs et les marchands de gibier du temple. Miracle de la jeunesse pâle et furieuse, croyaient-ils.
     Il sentit sa main aux mains chargées de bagues et à la bouche d'un officier.      L'officier était à genoux dans la poudre : et sa tête était assez plaisante, quoique à demi chauve.
     Les voitures filaient dans les étroites rue de la ville ; un mouvement, assez fort pour ce bourg ; tout semblait devoir être trop content ce soir-là.
     Jésus retira sa main : il eut un mouvement d'orgueil enfantin et féminin : "Vous autres, si vous ne voyez point des miracles, vous ne croyez point."
     Jésus n'avait point encore fait de miracle. Il avait, dans une noce, dans une salle à manger verte et rose, parlé un peu hautement à la Sainte Vierge. Et personne n'avait parlé du vin de Cana à Capharnaüm, ni sur le marché, ni sur les quais. Les bourgeois peut-être.
     Jésus dit : "Allez, votre fils se porte bien." L'officier s'en alla, comme on porte quelque pharmacie légère, et Jésus continua par les rues moins fréquentées. Des liserons, des bourraches montraient leur lueur magique entre les pavés. Enfin il vit au loin la prairie poussiéreuse, et les boutons d'or et les marguerites demandant grâce au jour.

 



 

Beth-Saïda...

 

     Beth-Saïda, la piscine des cinq galeries, était un point d'ennui. Il semblait que ce fût un sinistre lavoir, toujours accablé de la pluie et noir ; et les mendiants s'agitant sur les marches intérieures blêmies par ces lueurs d'orages précurseurs des éclairs d'enfer, en plaisantant sur leurs yeux bleus aveugles, sur les linges blancs ou bleus dont s'entouraient leurs moignons. Ô buanderie militaire, ô bain populaire. L'eau était toujours noire, et nul infirme n'y tombait même en songe.
     C'est là que Jésus fit la première action grave ; avec les infâmes infirmes. Il y avait un jour, de février, mars ou avril, où le soleil de deux heures après midi, laissait s'étaler une grande faux de lumière sur l'eau ensevelie ; et comme, là-bas, loin derrière les infirmes, j'aurais pu voir tout ce que ce rayon seul éveillait de bourgeons et de cristaux et de vers, dans ce reflet, pareil à un ange blanc couché sur le côté, tous les reflets infiniment pâles remuaient.
     Alors tous les péchés, fils légers et tenaces du démon, qui pour les cœurs un peu sensibles, rendaient ces hommes plus effrayants que les monstres, voulaient se jeter à cette eau. Les infirmes descendaient, ne raillant plus ; mais avec envie.
     Les premiers entrés sortaient guéris, disait-on. Non. Les péchés les rejetaient sur les marches, et les forçaient de chercher d'autres postes : car leur Démon ne peut rester qu'aux lieux où l'aumône est sûre.
     Jésus entra aussitôt après l'heure de midi. Personne ne lavait ni ne descendait de bêtes. La lumière dans la piscine était jaune comme les dernières feuilles des vignes. Le divin maître se tenait contre une colonne : il regardait les fils du Péché ; le démon tirait sa langue en leur langue ; et riait ou niait.
     Le Paralytique se leva, qui était resté couché sur le flanc, franchit la galerie et ce fut d'un pas singulièrement assuré qu'ils le virent franchir la galerie et disparaître dans la ville, les Damnés.

 


(1872-1873, au dos du brouillon d'Une Saison en enfer, 1873)

 



 

Hugo le polémiste:

 

Le poète incarnant le siècle romantique a laissé quelques poèmes évoquant les évangiles, – bien que nul ne soit un chef-d'oeuvre comme Booz endormi illustrant l'histoire de Ruth dans l'Ancien Testament. Parmi ces poèmes "évangéliques", dans une pièce de La légende des siècles, Victor Hugo revisite en rimes plates la guérison de Lazare. Mais c'est un poème tardif que l'on recueillera, faisant écho avec les Proses évangéliques de Rimbaud, dans une ironie vis à vis du Christ menée ici à son terme par la figure du bourgeois dont le poète se moque sous forme de dialogue:

 

Bourgeois parlant de Jésus-Christ.

 

« – Sa morale a du bon. – Il est mort à trente ans.
– Il changeait en vin l'eau. – Ça s'est dit dans son temps.
– Il était de Judée. Il avait douze apôtres.
– Gens grossiers. – Gens de rien. – Jaloux les uns des autres.
– Il leur lavait les pieds. – C'est curieux, le puits
De la samaritaine, et puis le diable, et puis
L'histoire de l'aveugle et du paralytique !
– J'en doute. – Il n'aimait pas les gens tenant boutique.
– A-t-il vraiment tiré Lazare du tombeau ?
– C'était un sage. – Un fou. – Son système est fort beau.
– Vrai dans la théorie et faux dans la pratique.
– Son procès est réel. Judas est authentique.
L'honnête homme au gibet et le voleur absous !
– On voit bien clairement les prêtres là-dessous.
Tout change ; maintenant il a pour lui les prêtres.
– Un menuisier pour père, et des rois pour ancêtres,
C'est singulier ! – Non pas ! Une branche descend,
Puis remonte, mais c'est toujours le même sang ;
Cela n'est pas très rare en généalogie.
– Il savait qu'on voulait l'accuser de magie
Et que de son supplice on faisait les apprêts.
– Sa Madeleine était une fille. – A peu près.
– Ça ne l'empêche pas d'être sainte. – Au contraire.
– Était-il Dieu ? – Non. – Oui. – Peut-être. – On y croit guère.
– Tout ce qu'on dit de lui prouve un homme très doux.
– Il était beau. – Fort beau, l'air juif, pâle. – Un peu roux.
– Le certain, c'est qu'il a fait du bien sur la terre.
– Un grand bien. Il était bon, fraternel, austère ;
Il a montré que tout, excepté l'âme, est vain ;
Sans doute il n'est pas Dieu, mais certes il est divin.
Il fit l'homme nouveau meilleur que l'homme antique.
– Quel malheur qu'il se soit mêlé de politique ! »

 



 

(Toute la Lyre 1888-1893)


 



 

 

 



 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Synapses évangéliques - La très Bonne Nouvelle selon Stéfanos
  • Oeuvre en cours écrite par poète immergé dans la Bible de 0 à 22 ans. part exégétiq (enquêt), part morale sans être moralisat (La très Bonne Nouvelle selon Stefanos). Le tout avec humour. Fruit de ms rech. Evgiles, épîtr (ms dat). clés pour chro Actes
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